Le miracle de Noël
S’il y a une chose anglaise que l’on a envie de transmettre, toujours et encore, c’est bien Harry Potter. On ne peut pas dire qu’on leur envie particulièrement leur variant britannique ces temps-ci, mais les sept romans J. K Rowlingiens au succès planétaire continuent de fasciner les jeunes et les moins jeunes, et nul ne niera que le besoin de lire et de s’évader est particulièrement crucial pour nos élèves en général et plus prégnant aujourd’hui que jamais.
Aussi lorsque l’APEL nous a suggéré de nous « britanniser » en introduisant des Maisons types Harry Potter dans notre fonctionnement, avons-nous tous applaudi de nos deux pattes de grenouilles.
Les thématiques des Maisons furent votées et, assez vite, les quatre éléments se détachèrent.
Nous aurions donc des Maisons « Eau », « Air », « Feu » et « Terre », associées à des couleurs, auxquelles il faudrait faire gagner des récompenses remportées pour mettre en avant l’action particulièrement louable d’un élève ou d’une classe. Notre collège ne manquant ni d’initiatives ni d’élèves fabuleux, cela ne devait pas être bien sorcier après tout.
Tant qu’on ne nous demandait pas de prodiguer des cours de métamorphoses comme Minerva McGonagall ou des cours de sortilèges tel Filius Flitwick, nous étions partants. Une cérémonie de répartition (sans Choixpeau, reconnaissons-le) aurait lieu en début d’année, afin de répartir les classes dans les Maisons d’une manière équitable et celle réussissant « with flying colours », à savoir se démarquant particulièrement, serait honorée au terme de l’année scolaire. Fine.
Sauf que ces temps-ci, il ne vous aura probablement pas échappé que tout, mais vraiment tout, est plus compliqué. Point de prouesses publiques possibles, point de gagnant au cross pas plus qu’au Quidditch, cauchemar de la distanciation, problématique de masques, de gel, marge de manœuvre toujours restreinte, avons-le, on se sent tous un peu comme en prison, à Azkaban dirait J.K., et démunis de baguettes magiques, pas même à la réglisse.
Vous l’aurez compris, les occasions de remporter des récompenses sont moindres, et cette année de toute façon, entre vous et moi, je ne me sens pas forcément à la tête de la classe la mieux partie pour remporter la Coupe de Feu et ce, même si ma Maison est justement celle du Feu, isn’t it ironic ?
Non pas que mes élèves ne soient pas tous attachants individuellement mais ils ont, disons, le collectif plutôt compliqué. Aussi lorsque je leur propose de préparer des « Boîtes d’Amour » pour les SDF en cette fin d’année ne suis-je pas spécialement sûre d’une implication et d’un engouement sans faille de leur part.
La « Boîte d’Amour » est un concept au succès grandissant et l’alternative que plusieurs d’entre nous ont trouvé cette année pour essayer d’aider nos prochains en l’absence de la tenue du Marché de Noël qui permet habituellement de soutenir différentes associations.
Il s’agit une boîte à chaussures décorée de papier cadeau dans laquelle on insère un objet chaud, un objet divertissant, de la lecture, une gourmandise, un produit d’hygiène et tout ce qui pourrait faire plaisir à un « habitant des rues » en cette période particulièrement compliquée pour eux aussi, tant physiquement que psychologiquement. Aussi simple que génial. Enfin simple, c’est vite dit.
Aurais-je les dons de Sibylle Patricia Trelawney, la fameuse professeure de divination de Poudlard aux innombrables tasses de thé et boules de cristal ? Toujours est-il que comme je le craignais au départ, l’engouement de ma classe est bien faiblard et je me sens un peu comme un Cracmol, ces personnes nées dans une famille de sorciers mais ne disposant d’aucun pouvoir. Je lutte déjà pour qu’ils me rendent leurs circulaires signées en temps et en heure, les heures de Vie de classe sont en général consacrées à des règlements de comptes entre les filles et les garçons, mes pré-ados sont des sorciers qui se prennent pour des Moldus et mes rendez-vous de parents s’enchaînent. Conséquences d’une fin de CM2 covidée, mayonnaise qui ne prend pas, anxiété générale, bref, les pistes de réflexion ne manquent pas mais ne changent rien à la donne.
Première tentative lors d’une vie de classe :
- Est-ce que vous avez pensé à vos boîtes d’amour ?
Résultats des courses, un élève a apporté 8 litres de gels douche, un autre un paquet de pâtes et aucune boîtes à chaussures à l’horizon.
Je réessaie quelques jours après :
- Où en sommes-nous avec nos boîtes d’amour ?
Je récolte cette fois-ci une boîte… de maquereaux, une boîte à chaussures vide recouverte de papier cadeau, une autre hâtivement coloriée et une dernière partiellement recouverte :
- Maman n’avait plus de papier !
La troisième fois, je ne m’attends plus à rien. J’ai bien raison. Ils m’apportent des rasoirs alors que je leur ai expliqué qu’on n’avait pas le droit, des masques qu’on n’a pas plus le droit d’insérer dans lesdites boîtes, législation oblige et… un œuf de Pâques en chocolat ! Je me dis que je vais compléter moi-même les 3 boîtes récoltées et faire le tour des SDF de mon quartier le soir de Noël en compagnie de mes enfants. Il y en aura une pour la petite dame au chignon, une autre pour le Roumain à la Bible et une troisième pour André-le-chevelu. Voilà, ce sera toujours ça.
Dernier mardi de Vie de classe. Dernière limite, dernière chance. Pas mieux. Je leur explique que eux se réjouissent certainement à l’approche des vacances mais que moi, je suis triste car nos SDF n’auront pas de cadeaux. J’ai du mal à dissimuler mon dépit. C’est fini. C’était notre dernière vie de classe, le « very last deadline » que je leur avait donné. I’m so sorry.
Le mercredi, je ne travaille pas. Lorsque je les revois le jeudi, notre dernier cours avant les vacances, nous devons faire le Père Noël Secret. Mes élèves sortent leurs cadeaux et se les distribuent en faisant une chaîne. Certains sont contents, d’autres un peu déçus, tous se gavent de chocolat. Après tout, c’est de Christmas season !
La cloche va sonner, je les enjoins à faire leurs cartables. Mon délégué lève la main :
- Au fait Madame, j’ai fait une boîte pour les SDF !
Sa voisine lève la main :
- Moi aussi, Madame !
- Moi aussi, sur l’étagère du fond !
- Ah, oui au fait, moi aussi !
Résultat des courses : 24 boîtes surgissent comme par magie des cartables et casiers de mes élèves, toutes belles, terminées, prêtes à offrir. Je n’en crois pas mes yeux : j’ai quasiment l’impression qu’elles flottent dans les airs ! Je retiens mes larmes : je n’y croyais plus. Non, vraiment. Plus du tout. Je les félicite : j’irai voir la Vie Scolaire pour expliquer que notre Maison de Feu mérite au moins 24 points de récompenses, nom d’un Choixpeau !
La date limite est en fait aujourd’hui 16 heures. Il est midi. J’ai encore le temps. Je me dirige vers le portail de l’école les bras chargés de cadeaux, suivie de quatre élèves croulant comme moi sous les boîtes, tels des lutins formidables. Je dois les apporter dans une commune voisine. Comme prévu, j’en mets trois à l’écart : une pour ma dame au chignon, une pour mon Roumain et une pour André-le-chevelu. C’est aujourd’hui le déjeuner de Noël à la cantine. Tant pis, je n’irai pas. Je me contenterai d’un sandwich. Qu’est-ce qu’un déjeuner de Noël à côté d’un miracle de Noël ? D’autant qu’il n’y en aura peut-être pas d’autres ? Allez savoir. Cette expérience me donne pourtant bien envie d’y croire. N’est-ce pas un peu pour cela que l’on fait ce métier after all ? Et puis d’aucuns disent qu’un miracle n’arrive jamais seul.