A la tienne Étienne !
Pour bien comprendre, je vous dresse le tableau : vendredi soir, c’était la célébration du divorce de ma copine Béné (6 ans de séparation, 4 ans de procédure avec record de reports d’audiences interplanétaire, et il a fallu que sa fiesta tombe ce week-end, quel nase son mec, de toute façon c’est de sa faute tout ça…), Béné qui donc avait décidé de se faire une soirée Ruinart à la santé et aux frais de son nasebroc d’ex, merci qui, merci Etienne-et-ses-indemnités-compensatoires pour ce sas de décompression du soir espoir et au fait à la tienne Étienne et ce, dès vendredi soir, sauf que samedi soir, c’était la crémaillère de mon pote Gaëtan, tout récemment séparé (faut bien avouer qu’il a un petit peu merdé, le Gaëtan, d’ailleurs avec Béné, vous suivez, mais bien après Étienne quand même, même si pas que non plus, alors...), donc avec le Gaëtan, trop content d’avoir retrouvé un chez lui après avoir squatté deux mois chez un autre pote, Henri, qui commençait à ne plus trop le devenir (pote), même si le Gaëtan le devenait de plus en plus avec Inès (sa femme), à force, et donc ça se fête, même si sans Henri et aussi sans Béné, eh oui, faut suivre, et hier, donc dimanche, c’était, en plus, cherry on the cake d’anniversaire, les 40 ans de mon frérot, qui a eu la riche idée de ne jamais se marier ni avec Béné ni avec le Gaëtan, ni avec personne dont je me souvienne d’ailleurs, mais de choisir exactement le même week-end pour faire le deuil définitif de sa jeunesse et de la mienne par la même occasion sale petit con, et même s’il a eu un livre sur les thés comme cadeau de vieux, on n’a quand même pas ingurgité que des pisse-mémés toute la soirée, faut bien l’avouer et même si faute avouée est à moitié pardonnée, c’est pas ça qui va m’aider à être moins éclatée. Mais j’assume. Jusque là, tout va bien. J’assume, je vous dis.
Le problème, je dirais, c’est pas le week-end, c’est plutôt le lundi matin…
Quand on n’a pas eu le temps de préparer ses cours et qu’on a l’impression d’avoir quatre traumatismes crâniens (un sur la tête de devant, un sur la tête de derrière et un sur chaque globe oculaire), le foie dans la rate, la rate dans le court bouillon qu’on aurait mieux fait d’ingurgiter et un PH à au moins plus vin, au bas mot, oh bois pas, oh bah moi, chuis un tout ptit peu mal, là, et même que j’ai un tout petit peu mal, là, et là, et là, et là aussi…
Alors quand on a un peu de bouteilles comme moi, depuis au moins le Mathusalem, qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ? On reste chez soi ? Oh, petits chenapans sardoniques, ne me tentez pas, mais sachez que depuis qu’on a des journées de carence à l’Éducation Nationale, on réfléchit à deux fois avant se faire porter pâle, d’autant que là, je suis pas vraiment pâle, techniquement parlant, je suis juste... attendez, je regarde… Verte. Oui, c’est ça, verte… Et un peu jaune aussi sous les yeux. Et dedans aussi, je crois. Et probablement dessous aussi, même si j’ai du mal à voir…
Alors non, on ne reste pas chez soi, on se rend courageusement sur son lieu de travail et on a recours à l’arme suprême, l’arme ultime du professeur qui veut avoir la paix (même si après il va pleurer sa reum sur les copies). Réfléchissez, apéro, ça rime avec quoi ?
- Mojito ?
- Oui, mais encore.
- Curaçao ?
- Oui, aussi... Mais surtout : Interro ! Alors bonjour à tous, welcome back, sortez une feuille ! Interrogation de verbes irréguliers !!!
Mode super-héro !
- Ah, au fait, avant de commencer, je dois vous faire écrire un message dans vos carnets de correspondance de la part de Sandrine de la Vie Scolaire. Alors notez que le jeudi 8 février, vous aurez l’intervention de l’association "Avec Modération" qui viendra vous parler des dangers de l’alcool chez les jeunes parce qu’il ne faut pas boire, enfin, quand on est jeune, et même que c’est bien pour ça qu’il n’y a plus de vin dans les cantines scolaires depuis 60 ans parce qu’avant, les gamins, ils picolaient, et aussi d'ailleurs, heureusement qu’il y a la bien nommée loi Evin, et que donc nous n’aurons pas Anglais ce jour-là, et on boira de l’Évian, et d’ailleurs faut boire beaucoup d’Évian quand on a la gueule de bois parce que l’alcool ça dessèche, c’est pas fou, ça, quand même, et dedans, vous pouvez ajouter du bicarbonate de soude parce que le bicarbonate de soude, ça enlève la gueule de bois, et ouais, ça ne sert pas qu’à se brosser les dents pour cacher l’odeur d’alcool ou à nettoyer les chiottes quand on a vomi dedans ! Le Sodium Hydrogen Carbonate, notez ! Bon, maintenant, prenez une feuille !
Derechef s’ensuivent désespération, détestation, réprobation, affliction, vous avez vu comme tout cela rime bien avec interrogation, mais je m’en fiche, je ne suis pas là pour être populaire, ça se saurait.
Alors il faut bien imaginer que tout n’est pas si simple quand même et qu’il me faut encore trouver le courage de choisir les verbes irréguliers sur lesquels je vais les interroger (de préférence ceux qu’ils ont appris, ce qui sous-tend que je m’en souvienne), de les écrire le moins penchés possible et sans faire de doublés au tableau en visant bien ledit tableau, et de répondre à quelques questions débiles du genre :
- Madame, on saute des lignes entre les lignes (euh, attends là, c’est toi ou c’est moi… Essaie peut-être de sauter des lignes sur les lignes, je sais pas, et puis parle moins fort, surtout). Suivie de :
- Madame, quand on a fini, on peut commencer ? (euh, attends là, c’est re-toi ou c’est re-moi ? En tout cas, c’est relou. Essaie donc de commencer à finir de sauter des lignes sur les lignes, je sais pas moi, et puis parle moins fort, surtout, enfin non, d’ailleurs, ne parle pas, pas du tout, plus du tout, plus jamais, voilà, c’est bien ça, merci).
S’ensuit un laps de temps à peu près tranquille ou seul le bruit des règles qui tombent, des quatre couleurs qui cliquent et de l’horloge beaucoup trop près de ma tête m’empêchent de collapser sur mon bureau dans un silence étourdissant. Assourdissant ?
Et donc à la fin, j’envoie Nicolas récupérer les copies pour m’économiser, car je dois rattraper quelques journées de sommeil et aussi parce que j’ai les muscles un brin tétanisés au-dessous de mes yeux pas en face des trous, ce qui fait qu’il marche beaucoup plus droit que moi, alors c’est plus rapide et plus joli. : )
Of course, je reste stoïque et personne ne remarquera que je manque de m’évanouir quand la cloche retentit et quand les élèves se lèvent en faisant bouger leurs 75 cl de tables, leurs 51 Taittinger, leurs 86 yeux, leurs 1664 cartables… Je reste stoïque parce que je suis enseignante. Et que je dois montrer l’exemple.
- Mais ne cours pas Emilion ! Enfin, Émilie. Non, ne cours pas, je t’en supplie, down on my knees, I’m begging you. Glisse sur un petit nuage. A little cloud. C’est cela, montre l’exemple. Parce que moi, je montrerai l’exemple… un autre jour. Another day. For example. Bon, je vais me coucher. Ah merde, non, j’ai encore cours. Ça m’apprendra, tiens ! A boire comme un poisson. Rouge. De préférence. Mais blanc, c’est bien aussi. A défaut. To drink like a fish. And chips. Oui, c’est bien les chips, ça aide à éponger. Plus jamais ! Plus jamais ! Never again je n’irai en cours après le divorce de Béné, la crémaillère du Gaëtan et les 40 piges du frérot ! Plus never. C’est cela. Sauf que never say never comme disent les Anglais et Justin Bieber. Alors : cheers!